La décision prise par l’administration Biden de soutenir la suspension temporaire de l’ensemble des droits de propriété intellectuelle (ci-après “PI”) concernant la prévention, l’endiguement ou le traitement de la COVID-19 était inattendue. En effet, les Etats-Unis se sont toujours posés en parangon de la protection de la PI, consacrée au pinacle de la hiérarchie des normes, puisqu’inscrite à l’article 1er, section 8, de la Constitution.
A contrario, les dirigeants européens, réunis ce vendredi lors d’un sommet à Porto, ont exprimé leur scepticisme vis à vis de la décision américaine. Ils ont rappelé que la propriété intellectuelle est le moteur de l’innovation et un outil essentiel à la dissémination des traitements contre la COVID-19. La Présidente de Commission Européenne, Ursula Von Der Layen a affirmé qu’une telle suspension n’apporterait aucune dose supplémentaire de vaccin à court et moyen terme.
A titre liminaire, il est utile de préciser que la dérogation temporaire à la mise en œuvre, à l’application et aux moyens de faire respecter les sections 1, 4, 5 et 7 de la Partie II de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle (ci-après “ADPIC”) exige un consensus des pays membres de l’Organisation Mondiale du Commerce (ci-après “OMC”). Emprunter cette voie serait un détour trop fastidieux pour répondre efficacement à l’urgence de la situation sanitaire.
Pour rappel, une première tentative de dérogation temporaire à l’application stricte de l’article 31(f) ADPIC relatif à la licence d’office, avait eu lieu en 2001 à la suite de la déclaration de Doha. Elle avait pour but de permettre aux pays n’ayant pas les capacités de production, d’importer des traitements contre le VIH, après obtention d’une licence d’office. Cette entreprise s’est soldée par un échec, en raison de l’inertie américaine. Cette disposition a finalement été modifiée par une procédure qui a débuté en 2003, et s’est achevée en 2017 avec l’entrée en vigueur effective de l’amendement.
Ainsi, l’urgence de la crise sanitaire rend le débat sur la levée des droits de PI stérile et superfétatoire.
D’abord, quand bien même les brevets sur les procédés de fabrication des vaccins seraient librement utilisables par l’ensemble des acteurs de l’industrie pharmaceutique, la production des vaccins ne s’en trouverait pas accélérée. Leur fabrication nécessite des technologies, un savoir-faire, et des données tenus secret par les laboratoires, dont l’apprentissage par la concurrence serait particulièrement chronophage. En outre, la commercialisation de biosimilaire serait soumise à une nouvelle autorisation de mise sur le marché par les autorités de santé, une procédure longue et couteuse. Au surplus, la plupart des pays n’ont pas la capacité de production pour réaliser la technique innovante.
Il convient, ensuite, d’alerter sur la dangerosité d’une telle décision. Certains laboratoires se trouveraient priver de leur monopole d’exploitation sur une invention technique, les empêchant de rentabiliser leurs investissements. Ces sociétés ont pris le risque de se voir refuser l’autorisation de mise sur le marché par les autorités de santé et pour certaines ont investi des sommes colossales dans les essais cliniques et la recherche et développement (ci-après “R&D). Cette suspension pourrait dissuader à l’avenir les biotech les plus innovantes d’investir dans la R&D de traitement sur les variants de la Covid-19, mais aussi sur d’autres applications thérapeutiques liées à la technique de l’ARN-messager.
De surcroit, cette levée pourrait perturber les chaines d’approvisionnement actuelles. Elle provoquerait une ruée vers la matière première nécessaire à la fabrication et au conditionnement des vaccins. Cette situation risquerait d’entrainer une raréfaction de ces matériaux.
Enfin, le mécanisme de la licence d’office permet déjà, en cas d’urgence sanitaire, d’assouplir le système des brevets, et de contraindre un détenteur de brevet d’accorder sous forme de licence son invention en échange d’une rémunération équitable. Ce mécanisme prévoit en son sein un juste équilibre entre récompense à la recherche et satisfaction de l’impératif de santé publique. Une proposition de loi a récemment été examinée devant le Sénat pour simplifier son fonctionnement. De nombreux pays ont emprunté cette voie depuis le début de la crise sanitaire.
L’accélération de la production et de l’exportation des vaccins se fera grâce à la coopération inter-gouvernementales, à la multiplication des accords de licences, au partage du savoir-faire via des accords de confidentialité, au transfert des technologies et données essentielles à la fabrication des vaccins avec les pays détenteurs des moyens de production. Cette collaboration devra se faire dans le respect des droits de propriété intellectuelle.
Le soutien apporté par l’administration Biden à la proposition de suspension temporaire des droits de PI semble être une décision purement politique répondant à une promesse de campagne. Elle aura probablement eu pour seul effet, la satisfaction temporaire d’une partie de l’opinion publique et demeurera un coup d’épée dans l’eau.
Si l’Amérique de Biden veut prendre le contre–pied de la défiance de l’administration Trump au multilatéralisme et affirmer son leadership, nous lui conseillons de mettre un terme à sa politique vaccinale protectionniste et de commencer à exporter ses doses aux pays les plus touchés par la pandémie.