« L’heure de la justice a sonné » : les fermiers blancs sud-africains pourraient être expropriés sans compensation

La résolution votée le 27 février dernier à l’Assemblée nationale en Afrique du Sud pourrait constituer un tournant historique dans ce pays depuis l’abolition du régime d’apartheid. Ce texte confie à une commission de révision constitutionnelle (CRC) le soin d’élaborer un projet d’amendement de la section 25 de la Constitution de 1996 sur le droit de propriété [texte officiel – en anglais], afin d’accélérer la redistribution des terres agricoles dont les populations indigènes ont été privées depuis la colonisation. Il franchit surtout une limite que les politiques de déségrégation raciale s’étaient jusqu’ici gardé d’approcher, en envisageant pour la première fois des expropriations sans dédommagement [article de presse – en français].

Cette proposition, qui vise implicitement les fermiers blancs, propriétaires d’environ 72 % des terrains privés du pays d’après un audit gouvernemental de février dernier [article de presse – en anglais], est à mettre sur le compte du député Julius Malema, président-fondateur du parti des Combattants pour la liberté économique (Economic Freedom Fighters, ou EFF). Partisan de mesures plus radicales comme la nationalisation intégrale des fermes sud-africaines [article de presse – en anglais], M. Malema, ancien membre du Congrès national africain (ANC, parti au pouvoir depuis 1994) et figure montante du paysage politique national, semble ainsi être parvenu à un compromis avec son ancienne famille politique et le nouveau président de la République, Cyril Ramaphosa. Ces derniers ont finalement soutenu la résolution proposée par l’EFF, le président Ramaphosa ayant lui-même promis une réforme agraire ambitieuse lors de son premier discours sur l’état de la nation, vendredi 16 février [article de presse – en français]. L’ANC aura par ailleurs besoins des voix des parlementaires de l’EFF pour réunir la majorité des deux-tiers indispensable à la révision constitutionnelle annoncée [article de presse – en français]. Pour le chef de l’Etat et la société sud-africaine, l’enjeu principal de cette réforme est d’aider la population noire, majoritaire en Afrique du Sud, à sortir du « piège de la pauvreté » dans lequel l’absence de patrimoine immobilier tendrait à les enfermer.

Les parties prenantes ont réagi avec inquiétude et parfois même avec colère face à ce projet. Si le président Ramaphosa a assuré que les expropriations seraient menées de telle manière qu’elles ne menacent ni la croissance économique ni la sécurité alimentaire du pays, le contre-exemple du voisin zimbabwéen a été brandi à plusieurs reprises pour suggérer qu’une remise en cause trop brutale du droit de propriété provoquerait une fuite des investissements dans le secteur agro-alimentaire et mènerait l’Afrique du Sud à une grave crise économique et financière [article de presse – en français]. En outre, certains Blancs sud-africains, soutenus par une partie de l’opinion publique internationale, voient dans cette résolution une nouvelle démonstration du « génocide » dont ils seraient victimes depuis 1994 [article de presse – en anglais].

Julius Malema a clarifié sa vision de ce que pourrait être le dispositif final de redistribution des terres agricoles, expliquant que les fermiers dépossédés pourraient continuer à occuper gratuitement celles des parcelles qu’ils exploitent effectivement et de manière ininterrompue, sans toutefois disposer d’un droit de vente ou de transmission sur ces propriétés [article de presse – en anglais]. « Exploitez [vos terres] ou perdez-les, même si vous êtes noir » a lancé David Masondo, membre du Comité de la transformation économique au sein de l’ANC, pour résumer la philosophie d’un texte qui ciblerait notamment « les terrains vacants, inexploités ou [conservés] à des fins de spéculation » [article de presse – en anglais].

La commission de révision constitutionnelle doit remettre son rapport et ses propositions d’ici le 30 août 2018.

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